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En 2001, Peter Gøtzsche, directeur du Centre nordique Cochrane, publiait avec son collègue Ole Olsen une méta-analyse qui démontrait que l’on ne disposait pas de preuve fiable de l’effet du dépistage par mammographie sur la mortalité, et que ce dernier s’accompagnait d’effets délétères, le surdiagnostic, notamment. Jusqu’à aujourd’hui, Peter Gøtzsche et ses collègues n’ont pas modifié ces conclusions, mais produit de nouvelles preuves de leur validité.

Pourtant, au lieu de donner lieu à un véritable débat sur l’opportunité de stopper les programmes de dépistage, ces travaux ont avant tout valu à leurs auteurs onze ans d’opprobre et de volées de bois vert. Or, la médecine et la santé publique ne sont-elles pas censées examiner toutes les preuves pour se fonder sur les meilleures, et non baser leurs actions sur des convictions ou sur la loi du plus influent? L’ouvrage que Peter Gøtzsche vient de publier en anglais sur cette affaire montre que rien n’est moins sûr. Mammography screening: truth, lies and controversy («Mammographie de dépistage: vérité, mensonges et controverse») documente minutieusement les coulisses médicales et scientifiques de cette controverse, où tous les moyens semblent bons pour faire taire ceux qui remettent en question le bien-fondé du dépistage: menaces, mensonges, intrigues, jeux d’influence, calomnies, insultes… Le Danois brosse un tableau préoccupant, où l’argument de la santé des femmes apparaît largement dévoyé pour servir d’autres intérêts.

FEMINA En matière de prévention du cancer du sein, vous recommandez aux femmes de ne rien faire, si ce n’est d’aller trouver leur médecin au cas où elles remarquent quelque chose d’anormal. Pourquoi devraient-elles vous croire, alors que les spécialistes et les autorités de santé leur recommandent de s’examiner régulièrement les seins et de faire une mammographie tous les deux ans dès l’âge de 50 ans?
PETER GØTZSCHE Il ressort des deux grands essais inclus dans notre évaluation Cochrane que l’auto-examen régulier des seins n’a pas démontré d’efficacité sur la mortalité par cancer du sein, voire qu’il est dommageable, car il entraîne une augmentation du nombre de biopsies. Même l’American Cancer Society, pourtant très favorable au dépistage, ne le recommande plus. En ce qui concerne le dépistage par mammographie, des études rigoureuses et récentes montrent qu’il ne réduit pas l’incidence des cancers avancés et n’a pas d’effet sur la mortalité par cancer du sein. En revanche, le dépistage transforme des femmes en bonne santé en patientes cancéreuses, et entraîne une augmentation du nombre de mastectomies, parce qu’il détecte des tumeurs qui n’auraient pas mis la santé de ces femmes en danger, voire n’auraient jamais été détectées si ces femmes n’avaient pas participé au dépistage. Dans les pays dotés de programmes, le taux de surdiagnostic est d’environ 50%. En évitant le dépistage, les femmes de la tranche d’âge concernée peuvent réduire d’un tiers leur risque de se faire diagnostiquer un cancer du sein. Le meilleur moyen de réduire l’incidence du cancer du sein, c’est donc de stopper le dépistage.

Vos publications montrent, depuis2001, que le dépistage a des conséquences dommageables sans apporter les bénéfices attendus. Pourtant, aucun programme n’a été stoppé depuis votre première méta-analyse.
Si le dépistage était un médicament, il aurait déjà été retiré du marché. Mais il est difficile à stopper, tant il a été survendu. Beaucoup de personnes y croient encore fermement. Le fait de recommander le dépistage permet toujours aux associations de lutte contre le cancer d’obtenir des fonds, et aux politiciens de gagner de nouveaux électeurs. Mais les choses pourraient changer: une évaluation indépendante est encours au Royaume-Uni, encouragée par notre recherche, avec des statisticiens qui n’ont pas été impliqués dans la controverse.

Vous décrivez, documents à l’appui, une élite médicale qui pratique le mensonge, la mauvaise foi, la menace, l’intimidation, l’attaque personnelle…Autant de comportements qui semblent indignes de grands spécialistes. Comment est-ce possible?
Je l’ignore et je trouve cela effrayant. Je ne comprends pas non plus que tant de gens se contentent de hausser les épaules lorsqu’ils apprennent que des scientifiques ont commis des fautes graves et ont trahi la confiance que la société a placée en eux – que ce soit pour la gloire, l’argent ou pour obtenir des fonds de recherche.

Les résistances que vous avez affrontées au sein de la Collaboration Cochrane constituent un autre aspect surprenant. Vous ont-elles étonné, vous aussi?
Oui. Et elles m’ont déçu. Elles sont incompréhensibles, à mes yeux. Les revues Cochrane sont censées décrire les bénéfices et les dommages des interventions dans le domaine de la santé. Pourtant, le Cochrane Breast Cancer Group ne nous a pas autorisés à faire publiquement état de la plupart des dangers du dépistage lors la publication de notre première revue, en 2001.

Vous comparez les partisans du dépistage du cancer du sein à des fanatiques. Ne défendent-ils pas simplement leurs intérêts financiers?
Comme dit la citation: «Il est difficile de faire comprendre quelque chose à un homme quand son salaire dépend du fait qu’il ne doit pas le comprendre.» Je ne crois pas que je compare ces gens à des fanatiques, je relève juste des similarités avec le religieux. Les partisans du dépistage ont créé un monde à leur image, où ils partagent des idées, des croyances, des rituels et un mantra: 30% de réduction de la mortalité par cancer du sein, grâce à une mesure qui n’est pas dangereuse. Les doutes et les questions sont interdits. Cette hostilité est très dommageable pour l’avancée de la science.

Votre livre relate dix ans de combat. Où trouve-t-on la force de continuer face à des pressions pareilles?
En matière scientifique, lorsque je suis convaincu d’avoir raison, je n’abandonne pas tant que l’on ne m’a pas prouvé que j’ai tort, et dans le cas du dépistage du cancer quel du sein, personne n’a démontré que je m’étais trompé. Les femmes ne devraient plus accepter la désinformation à laquelle on les expose. Le mépris du principe de consentement éclairé, le déni collectif, la manipulation des données concernant le surdiagnostic et le faible bénéfice du dépistage, tout cela représente peut-être le plus grand scandale éthique qu’ait jamais connu la santé. Des centaines de millions de femmes ont été séduites par l’idée du dépistage sans savoir qu’il pouvait leur porter préjudice. Il est temps que cela cesse.

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