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Ces mecs qui envoient des dick pics

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«En soi, le numérique n’a rien inventé, car cette pulsion masculine de montrer son sexe est ancienne, fait remarquer Sophie Cadalen, psychanalyste et spécialiste des comportements sexuels.

© Getty

Imaginez la scène. Vous avez commencé à papoter avec un charmant quidam rencontré dans un bar, mais après les premières formules de politesse et quelques échanges de banalités sur la météo et l’ambiance cosy des lieux, le monsieur se tait, ouvre soudain sa braguette et vous offre son sexe en érection à contempler; sans transition, avertissement ni explication quant à cette évolution pour le moins radicale de la conversation. Une scène digne d’un film porno des années 70? Pas vraiment.

Nombre de femmes actives sur les sites de rencontre ou les réseaux sociaux ont déjà vécu au moins une fois une telle mésaventure. L’envoi impromptu de photos de zizis, ou dick pics en anglais, est en effet un phénomène répandu. Il ne doit bien sûr pas être confondu avec les partages d’images coquines pouvant se dérouler lors d’un sexting, ce flirt par écrans interposés que pratiquent consciemment deux personnes au désir réciproque. La dick pic, elle, tombe comme un cheveu sur la soupe.

«Elle est hors sujet et brutalement imposée à l’autre sans lui laisser la possibilité d’exprimer son consentement; cela procède d’une démarche d’intrusion», analyse Laurence Dispaux, psychothérapeute FSP, sexologue à Lausanne et chroniqueuse pour Femina. La pratique est pourtant en expansion.

Chatons à la rescousse

En 2016, une étude menée par le site Singles in America révélait que près de la moitié des internautes féminines avaient déjà vu débarquer de tels fichiers dans leur messagerie. Une année plus tard, une enquête de la société d’étude de marché YouGov informait que presque trois quarts des utilisatrices avaient reçu une photo de phallus non désirée. La vague a fini par prendre une telle ampleur qu’en 2020, l’application Once a décidé d’appliquer un algorithme transformant automatiquement toute dick pic envoyée en une mignonne image de chaton…

«En soi, le numérique n’a rien inventé, car cette pulsion masculine de montrer son sexe est ancienne, fait remarquer Sophie Cadalen, psychanalyste et spécialiste des comportements sexuels. Internet fournit cependant un support formidable et moins risqué pour ceux qui le font, avec une grande facilité d’interactions et une distance qui peut donner l’impression d’un relatif anonymat.»

De plus en plus jeunes

Il y a une décennie, le site Chatroulette, sorte de forum géant de webcams, était déjà familier du phénomène: 25% des caméras étaient uniquement braquées sur des sexes de messieurs, selon les deux auteurs du livre A billion wicked thoughts, publié en 2011. Aujourd’hui, toutefois, les plus jeunes font atteindre à la pratique des sommets. La réalisatrice Ovidie affirmait récemment que la quasi-totalité des lycéennes avaient été les destinataires de dick pics. «Dans l’ensemble, il est vrai que ces envois sont beaucoup observés dans les échanges entre millennials, voire chez les plus jeunes», souligne Romy Siegrist, psychologue FSP et sexologue au cabinet SexoPraxis.

Envoyer son anatomie au format portrait, comme s’il s’agissait d’une banale émoticône, la démarche, quand même, interroge. Quelles motivations poussent un internaute lambda à devenir dick-picteur? Si on dispose encore de peu d’études de fond sur la question, des réponses ont toutefois été apportées par de récents travaux publiés dans le Journal of Sexual Research.

Résultat? Un peu plus de la moitié des pratiquants espère exciter l’autre avec une telle photo. «La dick pic peut être comprise comme une tentative d’orienter un dialogue trop neutre ou sage vers un registre clairement sexuel, avance Laurence Dispaux. Cette génitalité amenée de plein fouet est un moyen de passer à l’étape suivante, de tendre la perche à l’interlocutrice, de demander: Seras-tu réellement là sur le plan sexuel par la suite? Les hommes qui envoient des photos de leur torse nu utilisent un registre plus soft mais, au fond, l’intention est similaire.»

Quitte ou double

Dans de nombreux cas, cependant, il ne s’agit pas que de pimenter une conversation. Toujours selon l’étude du Journal of Sexual Research, 44% des envoyeurs de dick pics misent sur le fait que leur destinataire se prendra au jeu et s’avérera elle aussi généreuse en images sulfureuses. «On voit souvent une attente transactionnelle derrière ce genre d’envois, éclaire Romy Siegrist. Les auteurs de ces clichés se disent qu’avec un peu de chance une réciprocité va s’instaurer, avec une montée en intensité du caractère explicite. Toutefois, c’est également tomber le masque et prouver qu’on ne cherche principalement qu’une relation de nature sexuelle.»

© Getty Images

Pourtant, aux yeux de Sophie Cadalen, tous ces aspects rendent la sincérité de la démarche assez suspecte: «Une telle image, envoyée sans sollicitation de l’autre, marque presque le fait qu’on est conscient qu’aucune relation ne sera possible. Ce geste semble choisi pour se faire claquer la porte au nez. J’y lis une sorte d’auto-sabotage visant à éviter un échec futur, qui empêche tout mais qui demeure une prise de contrôle symbolique.»

Dimension perverse

L’interprétation prend tout son sens au prisme des recherches récentes sur le sujet, qui montrent que seulement 27% des envoyeurs de dick pics préfèrent une réaction positive des destinataires. Ces nombreux hommes bombardant le web de sexes en érection souffriraient-ils d’une pathologie, d’exhibitionnisme en particulier?

«Imposer une telle vision sans que l’autre l’ait demandé, ou même laissé entendre, fait évidemment penser à un tel penchant, note Sophie Cadalen. On est probablement face à un certain registre de perversion, puisque l’autre, en étant purement objectifié, est bafoué et sert exclusivement de support pour se rassurer sur sa puissance virile. L’excitation découle en effet de la découverte d’une émotion heurtée, d’une sidération, d’une peur même, chez la personne qui regarde la photo de ce sexe en érection.» D’où le fait, probablement, que la plupart des pénis sont photographiés ou filmés en état de grâce et non au repos.

Séduction low cost

Toutefois, s’agissant de ses structures mentales et de la perception d’autrui, le dick-picteur est plus nuancé et complexe qu’il n’y paraît, pas forcément un pervers ou un sociopathe retranché dans sa chambre, préviennent les experts.

«Une partie d’entre eux fonctionne bien sûr selon une mécanique exhibitionniste, à l’instar de ces personnes ouvrant leur imperméable dans la rue ou le couloir du métro, qui ont d’ailleurs déserté les lieux publics au profit d’Internet, décrit Laurence Dispaux. Néanmoins, il est exagéré de cantonner la dick pic à ce registre. Beaucoup de ceux qui en envoient sont d’abord de grands maladroits qui pensent qu’un tel passage à l’acte, un peu impulsif certes, est tout de même approprié. Parmi eux, on trouve toutes les catégories sociales, même des individus ayant du succès avec les femmes et occupant des positions élevées dans la société.»

Comment l’expliquer? «La personnalité peut se cliver avec le comportement sexuel, observe Romy Siegrist. Comme le harcèlement et le viol, la dick pic peut venir de Monsieur tout-le-monde.»

En embuscade

Pourtant, tout le monde n’est pas susceptible d’envoyer ce type de photos. A en croire les diverses études sur la question, entre 17 et 27% des internautes masculins l’ont déjà fait, alors que 49 à 78% des femmes en ont été victimes. Soit ces messieurs sont trop honteux pour avouer leur passage à l’acte, soit le phénomène est dû essentiellement à un groupe restreint mais hyperactif de la population masculine.

La vérité est sans doute quelque part au milieu, estime la sexologue. «Un certain nombre jouent probablement avec les limites et préfèrent garder ça pour eux, mais ces hommes sont également souvent des serial dick-picteurs.»

Quelques points communs permettent quand même une amorce de profilage psychologique des pratiquants. Ils seraient prisonniers de visions simplistes de l’autre sexe et de clichés hérités de la société patriarcale. Leur plus grande prévalence au sexisme, d’abord, est établie, que ce sexisme soit bienveillant (éviter aux femmes, naturellement plus fragiles, des métiers trop éprouvants, par exemple) ou hostile.

L’autre comme soi-même

En outre, ils feraient montre d’une approche phallocentrée et un peu brute des relations intimes. «Ils pensent que leur propre source d’excitation, qui chez les hommes est d’abord visuelle, marche de manière identique chez les femmes, soulève Laurence Dispaux. Or, en schématisant beaucoup les choses, on peut dire que l’excitation féminine est souvent moins facilement générée par l’image sexuelle explicite, mais procède davantage par des jeux de cacher-montrer, de progression, d’allers-retours. Pour la plupart des femmes, l’affichage d’une photo de pénis au milieu d’une discussion paraît vraiment ridicule. Cela témoigne d’une ignorance de l’art de la séduction, qui est tout en transitions.»

Toutefois, pas chez toutes les femmes, ce qui pourrait expliquer pourquoi certains continuent d’exposer sans vergogne leur anatomie aux détours d’une conversation. «Il arrive que des personnes érotisent le phallus en tant que tel, rappelle Romy Siegrist, en particulier celles qui trouvent une source d’excitation dans le porno mainstream, qui met le pénis au centre du plaisir et de la relation sexuelle, tout en occultant largement les autres régions érogènes du corps. Au vu de la hausse de la consommation de contenus X chez les femmes, il est même possible qu’elles deviennent de plus en plus nombreuses à apprécier cette érotisation très sélective.»

Toutefois, les destinataires de ces images de sexes peuvent aussi se prendre au jeu pour de mauvaises raisons, prévient Laurence Dispaux: «Certaines femmes répondent favorablement à une dick pic afin de ne pas passer pour coincées et ne pas rompre le dialogue avec un interlocuteur qu’elles trouvaient intéressant jusqu’ici. Pour autant, si on se sent avant tout mal à l’aise devant une telle photo, le mieux est peut-être de rappeler à son auteur que ce geste peut faire échouer sa tentative d’entrée en matière.»

Ce qu'en dit le droit: trois questions à Sébastien Fanti, avocat

Sébastien Fanti
© Chantal Dervey

FEMINA Depuis quand le phénomène des dick pics est-il devenu un sujet de société en Suisse?J’ai entendu parler de ce terme il y a seulement trois ou quatre ans, mais il est clair que cette pratique existe depuis longtemps et est transversale à toutes les catégories socioprofessionnelles. Même dans les hautes sphères, certains individus le font et semblent prendre cela à la légère. C’est quelque chose qui me choque assez, bien que je ne me considère pas particulièrement old school.

Les envoyeurs de dick pics sont-ils hors la loi?
Tout à fait. Cet acte est proscrit par l’article 197 alinéa 2, relatif à la pornographie. Tombent sous cet article les comportements consistant à imposer une représentation sexuelle en privé ou en public sans y avoir été invité au préalable.

La punition est à mon goût peu sévère à l’heure actuelle, puisque ces personnes risquent la plupart du temps des jours-amendes avec sursis. Toutefois, un juge pourrait très bien, pour faire comprendre la gravité de la situation dans certains cas, user du cautionnement préventif pour durcir l’amende, qui serait alors susceptible d’atteindre plusieurs milliers de francs.

Quelle est la meilleure façon de réagir face à un envoi de dick pic? Ignorer le message? Se moquer?
Je recommande de ne pas le prendre à la plaisanterie, et de ne pas l’ignorer non plus. Le mieux est de faire clairement et immédiatement comprendre à l’envoyeur que ce qu’il fait est inacceptable et qu’il doit arrêter. Cet acte n’a pas besoin qu’une plainte soit déposée pour être poursuivi, une dénonciation au Ministère public suffit. En cas de procès, une émoticône ou un manque de réaction négative explicite de la victime pourraient laisser croire au juge que l’envoi découlait plutôt d’un contexte de drague.

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