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Examens: les épreuves orales sont accusées de desservir les filles

Examens epreuves orales desservent les filles

«L’acquisition d’un savoir par une fille donne plus l’impression de découler d’un apprentissage par cœur, un peu scolaire. Les enquêtes montrent qu’elles doivent donner plusieurs fois des réponses justes pour prouver leur compétence, quand une seule bonne réponse suffit pour un garçon.» - Clara Kulich, professeure en psychologie sociale à l’Université de Genève (UNIGE).

© Getty Images

Faut-il supprimer les épreuves orales à l’école et à l’université pour éviter les discriminations de genre? La question hante le milieu scolaire français depuis l’été dernier, témoin d’un étrange phénomène. Alors que l’examen oral du concours de l’Ecole normale supérieure, un établissement parmi les plus prestigieux, avait été annulé pour cause de mesures anti-Covid au profit des seules épreuves écrites, la part des étudiantes admises s’est révélée bien plus élevée que d’habitude.

Une démonstration, aux yeux de certains sociologues et enseignants de l’Hexagone, que les épreuves orales sont un désavantage pour les femmes et doivent faire l’objet d’une réflexion. «Le constat est similaire dans plusieurs pays et filières, mais pas dans d'autres, selon Clara Kulich, professeure en psychologie sociale à l’Université de Genève (UNIGE). On l’a identifié en Allemagne dans le domaine du droit. Mais beaucoup de facteurs peuvent influencer l’observation ou non de ce phénomène.»

Et en Suisse? Contacté, le Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes répond qu’il n’existe «pas de connaissances spécifiques» sur la question dans notre pays et indique ne pas détenir «d’études récentes sur le sujet». Ce qui ne veut pas dire que le débat est totalement absent. «Il n’y a effectivement pas de telles enquêtes sur les étudiantes en Suisse et le milieu académique est peu conscient qu’il puisse exister des biais lors des examens, relève Klea Faniko, chercheuse en psychologie des discriminations et des préjugés à l’UNIGE.

Mais beaucoup d’études montrent que le genre peut avoir une influence claire sur l’issue d’un entretien en présentiel, qu’il se déroule dans le contexte scolaire ou professionnel.»

Ceux qui écoutent

Pour les experts, le phénomène est ainsi bien réel. On connaît même plutôt bien sa recette: un cocktail de stéréotypes de genre, qui commencerait déjà du côté des candidats. «J’ai pu remarquer que les jeunes filles sont traditionnellement moins préparées aux épreuves orales, relate le sociologue français Jean-François Amadieu. Elles se mettent souvent moins en avant, font preuve de moins de bagout, rougissent plus face au jury. Les garçons, eux, se montrent plus habiles, même quand ils ne savent pas grand-chose de leur sujet.»

Pourtant, cette théorie selon laquelle les étudiantes, parce que femmes, arriveraient parfois moins bien armées aux examens oraux, n’est pas partagée par tous les spécialistes se penchant sur la question. «Je crois qu’il faut surtout chercher le problème du côté des examinateurs et examinatrices, pointe Klea Faniko. Nombre de gens perçoivent le monde via des biais de genre dus aux stéréotypes, même des personnes formées, instruites et intelligentes comme peuvent l’être les professeurs d’université. Si on veut expliquer le mécanisme d’entretiens oraux qui seraient moins favorables aux femmes, c’est là qu’il faut creuser.»

Double standard

D’autant plus que les examinateurs du milieu scolaire y sont vulnérables. «Les enseignants composant les jurys n’ont généralement pas eu de formation de lutte contre les stéréotypes, rappelle Jean-François Amadieu. Ce n’est pas le cas des recruteurs dans le monde professionnel, qui y sont normalement contraints par la loi.» Mais concrètement, cette discrimination inconsciente pendant l’oral, comment ça marche?

«Un stéréotype très répandu fait notamment percevoir les hommes comme doués naturellement, alors que pour une fille ayant un niveau identique, on aura tendance à penser qu’elle a travaillé dur pour ça, explique Clara Kulich.

L’acquisition d’un savoir par une fille donne plus l’impression de découler d’un apprentissage par cœur, un peu scolaire. Les enquêtes montrent qu’elles doivent donner plusieurs fois des réponses justes pour prouver leur compétence, quand une seule bonne réponse suffit pour un garçon.

Dans ce même registre, le prototype du génie est souvent imaginé comme un homme pas forcément bien habillé. Une femme, elle, se doit souvent de présenter une bonne apparence physique dans un tel contexte.»

© Green Chameleon / Unsplash

Attendues au tournant

Cependant, opter pour une tenue et un comportement moins typés féminins n’arrange pas forcément les choses, souligne Clara Kulich: «Des études chez les enfants montrent qu’une jeune fille se comportant de manière contre-stéréotypée sera en quelque sorte punie pour cette attitude. On la reconnaîtra éventuellement compétente mais pas sympathique, ce qui influe au final sur l’évaluation qu’on peut faire de cette personne.»

Nombre de femmes sont conscientes de cette quasi-obligation de trouver le bon ton, le comportement approprié, pour être écoutées à leur juste valeur et franchir les barrières des préjugés tendues devant elles. Mais cela aussi peut se retourner contre elles, «puisqu’en devant se préoccuper tout le temps de quelle apparence et attitude on laisse à voir, elles se retrouvent avec davantage de choses à gérer que les garçons, note la professeure de l’UNIGE. Ça peut avoir un impact négatif possible sur leurs capacités cognitives pendant l’entretien.»

Un exercice pour l’avenir

Pour supprimer ces biais de genre, supprimons les oraux, alors? Ce n’est pas si simple. «Les entretiens sont le terrain de beaucoup de discriminations de toutes sortes, cela dit je pense qu’ils sont essentiels aux étudiants, dans la mesure où ils les préparent à pas mal de jobs une fois arrivés dans le monde professionnel, énonce Jean-François Amadieu. Chez les cadres, par exemple, plus on progresse dans la carrière et plus on passe de temps à parler à des gens, des assemblées. Tout le monde mérite d’être bien préparé et à l’aise à l’oral pour la suite en entreprise.»

Heureusement, il existe d’autres solutions à la mise sur la touche de ce genre d’épreuve. «On a pu remarquer que les examens oraux étaient rendus plus objectifs quand ils étaient structurés, cadrés. Et quand le sujet est connu à l’avance, les filles performent mieux, constate le sociologue français. Peut-être pourrait-on également pondérer de façon moindre la note de ces épreuves.» Autre solution, mettre en place des formations et des campagnes de sensibilisation à l’égard des enseignants pour leur faire prendre conscience des éventuels biais qu’ils véhiculent.

Parfois à leur insu, comme chez ceux faisant du sexisme bienveillant: sourires exagérés, encouragements, attitude se voulant protectrice mais participant à enfermer la candidate dans une position de soumission. «On sait que ça fonctionne, car des études montrent que ces dispositifs donnent des résultats intéressants chez les recruteurs du privé, détaille Klea Faniko. Ici, à Genève, nous avons créé un programme de management à l’attention des nouveaux professeurs. Bien sûr cela ne résoudra pas soudainement le problème, c’est un travail de longue haleine. Mais ces stéréotypes peuvent avoir un impact réel sur le parcours des autres, donc c’est un sujet important.»

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