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Mythologie

Les fières amazones, bien plus qu’un fantasme

Dossier Mythologie DR3

Lagherta, combattante légendaire, interprétée par l’actrice Katheryn Winnick dans la série Vikings.

© DR

La fascination qu’elle exerce semble intacte. Il suffit de jeter un œil au profil des héroïnes de fiction de ces dernières années. L’amazone, guerrière dont la dextérité et la bravoure n’ont rien à envier aux hommes, y occupe une place de choix. Disney vient d’annoncer la sortie en streaming (pour cause de coronavirus) de sa nouvelle version de Mulan. Mais la légendaire cavalière chinoise n’est pas la seule à savoir manier les armes. Pensez à Katniss Everdeen (Hunger Games), à Brienne de Thor (Game of Thrones), à la dernière adaptation de Wonder Woman ou à la série Vikings.

Une profusion inédite «sans doute liée à nos questionnements actuels sur le genre, le rôle de la femme dans la société», estime l’historien Christian-Georges Schwentzel, spécialiste de l’Orient hellénistique.

Avant de s’imposer dans les super-productions hollywoodiennes et les catalogues des plateformes de streaming, les amazones peuplaient les mythes grecs. Thésée, Hercule, Achille… tous les ont affrontées à un moment ou un autre. On retrouve des femmes guerrières dans d’innombrables récits antiques. L’art gréco-romain véhicule aussi le souvenir de ces combattantes à travers ses peintures, sculptures ou poteries. On les voit en pantalons, monter à cheval, tirer à l’arc, manier la lance ou la hache, se battre et parfois mourir l’arme à la main. Si elles ont longtemps été considérées comme le fruit d’une imagination fertile, les amazones n’ont pas été inventées par les Grecs. Elles sont bien plus qu’un fantasme, comme le démontre le livre de l’historienne américaine Adrienne Mayor, Amazones, qui vient de paraître en poche. Leur mode de vie, leurs péripéties s’inspirent de femmes de chair et de sang, dont les historiens et les archéologues ont eu du mal à envisager sérieusement l’existence jusqu’à récemment.

Wonder Woman, version 2017, retrace le passé de la super-héroïne à l’époque où elle était Diana, princesse des Amazones. © DR

Tribus nomades d’Asie centrale

Mais revenons un peu en arrière. Durant la deuxième moitié du premier millénaire av. J.-C., l’Asie centrale abritait des tribus nomades au sein desquelles il était de coutume que les femmes montent à cheval, chassent et combattent. Ceux que l’on connaît sous le nom de Scythes sillonnaient les steppes qui s’étendent autour de la mer Noire et de la mer Caspienne. Confrontés à la rudesse de la nature, tous les membres de la communauté, quel que soit leur sexe, devaient contribuer à la survie du groupe et partageaient donc un grand nombre d’activités. Pour Adrienne Mayor, c’est à partir des contours réels de ce monde-là que les Grecs ont façonné un univers alternatif, mythique, d’amazones guerrières. Antiope, Melanippe, Hippolyté, Penthésilée seraient directement inspirées de ces peuplades d’Orient.

L’historien grec Hérodote, comme d’autres, évoque ces femmes de Scythie qui se battent à cheval aux côtés des hommes à la manière des amazones de la mythologie. La légende se serait nourrie des informations rapportées sur ces nomades aux mœurs étranges par des voyageurs, des commerçants ou des esclaves. Populaire chez les auteurs et les artistes, le thème de l’amazone se retrouve dans toute la sphère d’influence grecque, et même au-delà. Il existe des récits relatant les exploits d’audacieuses combattantes en Egypte, en Perse, dans le Caucase, en Asie centrale, en Inde et jusqu’en Chine.

Explorant «les faits sous les mythes», Adrienne Mayor dresse un inventaire des preuves matérielles de l’existence de ces femmes. Si les populations nomades d’Asie centrale n’ont pas laissé de traces écrites, il nous en reste des reliques. Les tertres funéraires scythes exhumés ont permis de mettre au jour des squelettes enterrés avec toutes sortes d’armes (lances, flèches, haches, etc.). Ces ossements portent souvent des traces de blessures reçues au combat. D’abord identifiés comme des individus de sexe masculin, il a fallu attendre les années 2010 pour que les analyses ADN démontrent que les défunts occupant ces sépultures n’étaient pas tous des hommes.

«Dans certaines nécropoles, les femmes armées occupent 37% du total des tombes.»

Adrienne Mayor

Historienne américaine

Certaines ont les côtes tailladées, le crâne fracturé, un bras cassé, une pointe de flèche plantée dans la colonne vertébrale ou dans le genou. Autant de découvertes récentes qui fournissent «des preuves surprenantes de l’existence de guerrières authentiques dont les vies ressemblent aux descriptions des amazones que l’on trouve dans la mythologie, l’art, les histoires classiques, la géographie, l’ethnographie et tous les autres textes grecs», constate Adrienne Mayor. Ces femmes guerrières étaient loin de constituer une exception, voire une anomalie. Ce sont, en effet, plus d’un millier de tombes scythes ou attribuées à des tribus apparentées qui ont été fouillées jusqu’à présent sur un territoire qui s’étend de la Bulgarie à la Mongolie actuelles.

Egalité des sexes

Mais ce que révèlent aussi les observations des archéologues, c’est une troublante égalité des sexes. Contrairement aux femmes grecques à la même époque, les Scythes, elles, ne menaient pas une vie essentiellement domestique, entre les enfants et le métier à tisser. Elles participaient à la recherche de pâturages, à la chasse, aux pillages, voire aux combats contre des tribus rivales, de la même manière que les hommes. Et aux côtés de ceux-ci. Toutefois, même si certaines histoires qui ont perduré jusqu’à aujourd’hui le prétendent, il n’existe par contre «aucune preuve de l’existence de sociétés uniquement composées de femmes», affirme l’historienne américaine.

Les véritables amazones ne méprisaient pas non plus les hommes au point de les asservir et de les mutiler, voire de tuer les enfants mâles, comme on l’entend parfois. L’archéologie vient plutôt confirmer l’existence d’une forme de partenariat entre hommes et femmes. Une telle égalité devait avoir quelque chose d’inconcevable ou, en tout cas, d’extrêmement exotique pour les Grecs, dont les mythes, d’ailleurs, réservent toujours un sort funeste aux am azones qui affrontent leurs héros, même si, jusqu’à leur dernier souffle, elles sont présentées comme des adversaires à leur taille.

«Sur plus de cinq cent cinquante vases peints représentants des Amazones, moins de dix montrent des Amazones implorant la pitié», relève Adrienne Mayor.

Les légendes de femmes guerrières ont traversé les époques et les régions, mais des preuves de leur existence sont, elle aussi, apparues bien au-delà des steppes d’Asie centrale. La nécropole de Birka, en Suède, abrite, par exemple, la tombe d’un haut dignitaire militaire dont on a récemment établi qu’il s’agissait… d’une femme! «Dans ce cas, il n’y a pas de traces de violence, le fait de savoir si elle s’est réellement battue demeure un sujet de débat», précise Christian-Georges Schwentzel.

Toutefois, selon lui, «cette femme, enterrée avec des armes et des chevaux sacrifiés, renvoie à l’image de guerrières vikings légendaires, telles que Lagherta, personnage notamment repris par la série Vikings».

Bien plus au sud, sur le territoire de l’actuel Soudan, s’étendait, il y a deux mille ans, le royaume de Koush, dirigé par de redoutables cheffes de guerre. «Contrairement aux reines égyptiennes, épouses des pharaons, qui assumaient des fonctions importantes mais n’étaient jamais des combattantes, dans la monarchie nubienne, on trouve des traces de cette fonction guerrière de la reine», confirme Christian-Georges Schwentzel. Une de ces souveraines est notamment représentée sur la façade d’un temple en train de décapiter ses ennemis.

Plus proche de nous, il est possible qu’il y ait eu des femmes chasseresses au sein des peuples amérindiens. En tout cas, les conquérants espagnols ont eux aussi fantasmé cette figure de la guerrière. Pour Christian-Georges Schwentzel, «ils ont reproduit les mêmes schémas que les Grecs, évoquant un monde atroce, cannibale, forcément féminin, qu’il fallait conquérir, dominer, amener à la raison. Le tout en exagérant énormément afin d’exploiter ce fantasme de façon idéologique» pour asservir une région qu’on connaît aujourd’hui sous le nom d’Amazonie, le pays des amazones.

Mulan, l’adaptation de Disney sortira en septembre 2020 directement en streaming, la faute au coronavirus. © Disney Enterprises

Se coupaient-elles le sein?

Selon l’historienne Adrienne Mayor, voilà bien «la seule chose que tout le monde sait sur les amazones». Ce buzz antique est ainsi resté gravé dans l’imaginaire populaire pendant 2000 ans. Les amazones se faisaient-elles enlever le sein droit pour mieux tirer à l’arc? Non. Un sein de plus ou de moins n’y aurait rien changé de toute façon. Cette histoire de poitrine tranchée relève plutôt d’un jeu étymologique. Les Grecs aimaient assimiler les noms étrangers sur une base phonétique. Mazone ressemble au mot sein et, puisqu’il est doté du préfixe a, amazone est devenu sans sein. Bancale, l’idée n’a pas eu de succès auprès des artistes: toutes les représentations d’amazones les montrent avec deux seins, un choix plus conforme à l’esthétique symétrique des Grecs.

Amazone blessée, tableau du peintre allemand Franz von Stuck, 1903. © Harvard Art Museums

Attraction répulsion

Si elles servent parfois de repoussoir, les amazones recèlent aussi un très fort potentiel érotique, selon l’historien Christian-Georges Schwentzel, auteur du livre Le nombril d’Aphrodite, une histoire érotique de l’Antiquité (Ed. Payot-Rivages).

«Lors de la colonisation, les Grecs ont vu des femmes guerrières ou chasseresses, ça a dû les impressionner, d’autant qu’elles étaient très différentes de leurs propres épouses. Ils se sont mis à fantasmer.

C’est la définition même du fantasme: on craint ces femmes, on les rejette, il faut même les tuer à un moment, c’est ce que font les héros grecs. Certaines représentations sont atroces. On en voit une, par exemple, où un homme tire une amazone par les cheveux pour la jeter à terre. C’est la figure de l’autre qu’il faut remettre à sa place.» Désirables, les amazones le sont jusqu’au moment où elles ont été dominées, poursuit ce spécialiste de l’Orient hellénistique, «elles perdent alors de leur attrait sexuel. On le voit dans les mythes, le héros s’en débarrasse».

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