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Sérial killeuse: Hélène Jégado, la cuisinière de l’horreur

Femina 32 Serial Killeuse Jegado 00
© Naila Maiorana

Carte d’identité

Nom: Hélène Jégado dite la Jégado.
Née en: 1803 à Plouhinec, Morbihan, France.
Nombre de meurtres: 5 retenus, 90 tentatives probables dont 70 décès.
Mode opératoire: Empoisonnement à l’arsenic.
Sentence: Condamnée à mort le 14 décembre 1851 pour empoisonnements, tentatives d’empoisonnement et vols.


©Tallandier/Bridgeman Images

De la confession viendra l’absolution. Ce pardon, Hélène Jégado l’espère sans doute lorsqu’elle accepte de laisser pénétrer l’abbé Tiercelin, envoyé pour l’entendre, dans cette cellule froide et humide qui lui sert de pénultième demeure avant le ciel. Ou l’enfer. Car en ce glacial mois de février 1852, celle qui, dans quelques jours à peine, avancera la nuque dénudée sur l’échafaud dressé sur le Champ de Mars de Rennes, a bien de quoi craindre la colère de Dieu, tant les crimes qu’elle a commis sont nombreux et peu pardonnables.

Si la justice des hommes l’a condamnée à la guillotine pour cinq empoisonnements, cinq tentatives et quelques vols, elle sait que, sous sa coiffe immaculée, son esprit torturé a engendré bien plus de méfaits: plus de nonante tentatives de meurtres qui auraient finalement causé la perte de quelque 70 âmes, occis dans des souffrances atroces, causées par le mortel poison que la cuisinière a sciemment ajouté à ses diaboliques recettes. A ce seul prêtre, déjà impressionné par celle que la vindicte populaire nomme «la Jégado» et que les parents évoquent pour menacer les petits enfants turbulents, Hélène va avouer, jusqu’à ce que la fragile lumière de la bougie apportée par son gardien se consume presque tout entière, son mortel parcours à travers la Bretagne. Omettant ou rajoutant ici et là quelques forfaits. Car à l’aube de ses 50 ans, l’esprit de la Bretonne s’étiole, fatiguée par une vie de labeur, de crimes, d’errements et de folie.

La tête de l’emploi

La plus grande serial killeuse du XIXe siècle, la plus féroce empoisonneuse… la criminologie moderne ne manque pas de superlatifs pour qualifier celle dont l’existence étonne encore et dont les motivations véritables resteront à jamais enfouies sous la tourbe lourde des landes de Bretagne. Plus de septante décès, sans distinction de sexe, d’âge, de condition sociale, des nourrissons aux vieillards, des curés aux femmes de chambre lui sont imputés. Sans raison avouée, elle a même fait passer de vie à trépas ceux qu’elle aimait, sœur, tante ou amant. Plus que Landru, plus que Petiot; bien plus encore que Marie Besnard qui, le siècle suivant, défraiera la chronique pour douze empoisonnements «seulement»; Hélène mérite ses médailles de l’horreur.

Dans la chronique judiciaire du «Figaro» du lendemain du 6 décembre 1851, jour de l’ouverture de son procès, on peut lire: «Agée de 48 ans, fortement bâtie et colorée, coiffée du capot blanc empesé, vêtue de la robe montante de droguet et du tablier de cotonnade à bavette d’Ille-et-Vilaine, la croix d’argent autour du cou, l’empoisonneuse, déjà légendaire dans toute la Bretagne, entre les yeux baissés et les mains jointes et prend place au banc des accusés où sa laideur abjecte, son regard dur, son front déprimé, sa bouche au sourire bas et méchant répondent bien à l’idée qu’on s’était faite d’elle et qui se traduit par un long murmure de répulsion.»

Une description à charge comme l’est d’ailleurs l’essentiel du procès qui durera une semaine et durant lequel elle niera tout; elle ne fera pas davantage preuve de contrition. Quant à son tout jeune avocat, Me Magloire Dorange, il concédera ses crimes et plaidera la folie pour lui éviter, peine perdue, la sentence capitale. Hélène gardera ses confidences pour le prêtre et l’autorisera à les rendre publiques, s’évitant ainsi à jamais d’avoir à justifier l’innommable. Même l’autopsie pratiquée sur son cerveau par les aliénistes ne révélera trace de la supposée «bosse du crime». La meurtrière était tout simplement humaine.

Fille de cultivateurs pauvres, Hélène naît en 1803 à Plouhinec, dans le Morbihan, ce département tout juste créé sur les cendres de la Révolution française et de la chouannerie. Elle grandit dans une ferme, choyée mais soumise, comme toutes les petites gens, à un quotidien de dur labeur. Les pleurs des femmes, mélangés aux embruns de l’océan, disparaissent sur leurs visages pâles. Les hommes s’épuisent aux travaux des champs quand la mer ne les prend pas sur des navires au long cours ou des barques fragiles. On n’apprend pas à lire, ni à écrire, mais on s’enivre d’eau-de-vie et de mauvais cidre avant de s’endormir, bercé par les légendes celtiques de Basse-Bretagne. Les fées y dansent avec les korrigans; on y entoure les puissants menhirs de ses bras, les soirs d’orage, pour en capter la force, et l’Ankou, figure du mal, vient charger sur sa charrette les cadavres de ceux qu’il tue sans distinction.

Road movie mortel

Devenue orpheline à 7 ans, Hélène, terrorisée par ce personnage morbide, est envoyée travailler comme servante au presbytère où elle donne entière satisfaction pendant dix-neuf ans, appréciée pour ses talents de cuisinière. Mais son penchant pour l’alcool lui coûte sa place et sonne l’avènement de sa carrière de meurtrière. Dès 1833, elle passe de bâtisse bourgeoise en maison de curé. Derrière elle, la liste des morts s’allonge. Sa soupe aux herbes ou son gâteau à l’angélique confite, assaisonnés de quelques grammes d’arsenic, provoquent la mort violente des gourmands qui les consomment. Sous les yeux de «la Jégado», qui assiste ses suppliciés jusqu’à leur dernier souffle, les membres inférieurs enflent, les corps se vident et se tendent sous la douleur, les vomissements se multiplient, les mains s’accrochent aux gorges brûlées. Son funeste labeur terminé, la cuisinière rend son tablier, sans omettre d’emporter avec elle une relique, robe, gant ou bouton doré qui viendra grossir ce musée des horreurs qui ne la quitte jamais. Séglien, Guer, Bubry, Locminé, Auray, Pontivy… Hélène parcourt la Bretagne pour son glaçant road movie sans jamais être inquiétée. L’épidémie de choléra n’a-t-elle pas déjà frappé la France il y a quelques mois? Les autorités préfèrent taire ces décès aux symptômes si semblables à ce récent fléau pour ne pas affoler davantage la population.

Erreur ou acte manqué? C’est parce qu’elle choisit d’aller exercer ses talents chez Me Bidart de la Noë, avocat et expert en affaires criminelles, qu’elle se fait prendre. Celui-ci, étonné de la multiplication des décès sous son toit, suspecte sa servante et entreprend d’autopsier les corps, révélant la présence de mort-aux-rats dans l’appareil digestif des victimes. Ainsi se termina la carrière d’empoisonneuse d’Hélène Jégado, qui s’étonna tout de même en ces termes: «Partout où je vais, la mort me suit.»

Entre landes et mer, Plouhinec voit naître Hélène en 1803. Ce village sera le point de départ d’une diagonale du crime qui lui fera parcourir toute la Bretagne.


©Begne Bernard - Région Bretagne

Le personnage d’Hélène a alimenté nombre de fantasmes et donné lieu à beaucoup de littérature. Le livre «Fleur de tonnerre», écrit par Jean Teulé sur le mode burlesque, est un best-seller (paru chez Pocket). Quant à la bande dessinée «Hélène Jégado, ascension vers l’échafaud» de Kéraval et Monnerais, elle est sortie aux Editions Sixto.

Dans le film «Fleur de tonnerre», sorti en janvier 2017, et adapté du livre de Jean Teulé, la jolie Deborah François interprète la meurtrière qui était loin d’avoir le physique de la comédienne belge.

Cette gravure, datée de 1852, montre la Jégado pendant son procès, vêtue de son tablier de cuisinière et les mains croisées en signe de miséricorde.


©Tallandier / Bridgeman Images

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