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L’avoir dans la peau, ou pas

Femina 38 Psychologies Dans la peau

Au cours d’un rapport sexuel, la peau exhale des odeurs, celles de nos phéromones.

© Getty Images

Docteur, je voudrais, je devrais en finir avec cette histoire, m’en aller, mais je n’y arrive pas. Je l’ai dans la peau. C’est plus fort que moi. Cette plainte, le psychanalyste Saverio Tomasella (auteur d’«Hypersensibles», Ed. Eyrolles) l’entend fréquemment dans son cabinet. L’expression «avoir quelqu’un dans la peau» surgit presque toujours en séance, affirme-t-il «quand l’un des partenaires a compris pourquoi une relation est toxique, mais qu’il n’arrive néanmoins pas à y renoncer. Parce que, au-delà du rationnel, quelque chose de physique chez l’autre le fascine et l’empêche de partir. En thérapie, les patients m’expliquent que c’est une question d’épiderme – du non-verbal, de l’irrationnel. De fait, le toucher est un sens profond et authentique grâce auquel la sexualité peut se révéler particulièrement riche.»

Ultrasensible, la peau est «un organe sensoriel aussi performant que l’œil, même si nous accordons souvent moins d’importance aux informations qu’elle nous transmet», explique Laurent Misery, chercheur et directeur du laboratoire de neurosciences de l’Université de Brest. En termes de surface, elle est notre sens le plus important: elle occupe en moyenne 18 000 centimètres carrés sur notre corps, identifie et colore affectivement les touchers, les effleurements, les contacts, les messages qu’elle reçoit, grâce à un million et demi de récepteurs sensitifs. C’est grâce à eux que nous pouvons retirer rapidement notre main d’une plaque brûlante. Ou que nous éprouvons des sensations agréables, notamment par le biais des corpuscules de Krause, récepteurs situés sur la peau très fine des organes sexuels masculin et féminin.

«Rien en elle ne me plaisait»

Notre désir et notre instinct sexuels, logés dans le cerveau reptilien, zone cérébrale la plus archaïque, se déclenchent eux aussi grâce aux informations envoyées par la peau via ces capteurs. «Elle réagit aux caresses, aux stimulations légères, aux étirements: elle a besoin d’un certain rythme, d’une certaine pression, d’une certaine chaleur. Selon chacun, cela donne du plaisir ou du déplaisir. Et cela joue évidemment dans les rapports amoureux. Mais nous n’avons pas tous les mêmes besoins. Tout est question d’«accordage» dans la sexualité», précise la gestaltthérapeute Claudia Gaulé.

Lorsque Pierre, 60 ans, a croisé Françoise, 50 ans, chez une amie commune, il est tombé sous le charme de sa personnalité: «J’aime les femmes qui ont de l’allure et de l’esprit. Françoise possédait tout cela. Je sortais d’une passion qui m’avait bouleversé et que je cherchais à oublier au plus vite. En la regardant bouger, rire, en l’écoutant parler, j’ai pensé qu’elle allait me permettre de passer à autre chose. Sa conversation, son élégance, son érudition me séduisaient. Nous nous sommes revus plusieurs fois. Je la trouvais délicieuse. Tout s’annonçait sous les meilleurs auspices, jusqu’au moment où nous nous sommes mis au lit. Sa peau, sa manière de me serrer frénétiquement, ses caresses m’ont tétanisé. L’odeur aigrelette de son épiderme, sa texture, son grain m’ont glacé. Rien en elle ne me plaisait. Je ne comprenais pas mes réactions, car c’est une belle femme. J’ai réussi à faire semblant, mécaniquement. Je me suis concentré sur son plaisir à elle. Je ne sais toujours pas pourquoi j’ai éprouvé un tel rejet

«Le toucher et l’odorat échappent à la mainmise du mental»

Pour expliquer ce genre de mésaventure, Saverio Tomasella effectue une distinction entre les dimensions charnelle et physique. Tout ce qui relève de l’allure, de la silhouette, de la forme du corps appartient au domaine physique. Dans le charnel se joue la question de la peau, de ce qu’elle dégage, de ce magnétisme qu’elle peut susciter. Ce n’est pas parce que quelqu’un nous plaît physiquement que nous allons le désirer. Pour que le désir surgisse, il faut être attiré charnellement: une relation peut fonctionner socialement mais «ne pas parvenir à s’ajuster dans l’intime. La vue – par le biais des écrans, de la lecture –, l’ouïe – par celui des consignes données par les parents et ceux qui nous ont élevés – sont des sens extrêmement éduqués, détaille le psychanalyste. Ils sont placés sous la coupe du surmoi, de toutes les règles morales, esthétiques, du jugement du bien et du mal, qui nous ont été inculquées. Le toucher et l’odorat échappent à cette mainmise du mental. Certaines odeurs sont difficilement supportables pour une partie d’entre nous et, même si la conversation d’une personne nous plaît, rien ne sera possible dans un lit avec elle à cause de ce que dégage sa peau.»

Au cours d’un rapport sexuel, la peau exhale des odeurs, celles de nos phéromones. Ces substances, sécrétées par des glandes cutanées sudoripares réparties sur tout le corps, et surtout par les glandes apocrines (situées sous les aisselles, sur les paupières, le pubis, les parties génitales et mammaires), répondent aux stimulations psychiques et à l’excitation sexuelle.

Nous ne pouvons pas maîtriser les phéromones, mais si elles ne s’accordent pas à celles de l’autre, l’attraction n’a pas lieu.

«Nous ne sentons pas les phéromones, nous ne pouvons pas les maîtriser, mais si elles ne s’accordent pas à celles de l’autre, l’attraction n’a pas lieu, diagnostique la sexothérapeute Violaine Gelly. Il y a une vérité du corps plus importante que la vérité de l’esprit. Nous oublions trop que notre corps, c’est nous. Notre peau parle, mais nous avons perdu l’habitude de l’entendre. Avoir quelqu’un dans la peau, c’est dépasser le désir d’homme ou de femme trophée pour construire un désir libidinal, irrationnel, mais au moins aussi important que celui issu de la raison.»

«Quelque chose s’est passé quand elle s’est déshabillée»

Un soir de détresse et de légère ivresse, Laura, 35 ans, se retrouve au lit, presque par hasard, avec Anne, une amie d’amis, aussi seule et désespérée qu’elle: «Encore une étreinte furtive, ai-je pensé. Et là, surprise! Quelque chose s’est passé quand elle s’est déshabillée. Son corps, sa peau très pâle parsemée de taches de rousseur dégageaient une luminosité incroyable. Les gestes et les caresses se sont enchaînés naturellement et miraculeusement. Nous avons passé une nuit inoubliable. J’étais bouleversée, puis très émue et inquiète au réveil. Heureusement, elle aussi! Nous avons ensuite appris à nous connaître moins primitivement, mais j’étais un peu effrayée par mes sensations au début.» Un effroi tout à fait compréhensible, éclaire la psychanalyste Sylvie Consoli (auteure de «La tendresse», Ed. Odile Jacob), car «avoir quelqu’un dans la peau, c’est éprouver une sensation d’effraction des limites et par cette brèche se rue tout un monde de sentiments, de sensations corporelles, charnelles. Ce n’est pas mécanique, matériel, uniquement biologique. Cela renvoie aussi à une réalité psychique et, bien sûr, aux tout premiers instants de la vie, à cette relation passionnelle, fusionnelle, où nous ne sommes pas séparés de l’autre, au lien du petit à sa mère, à ces moments où ils forment un corps à corps.»

La peau et les passions qu’elle réactive s’enracinent dans ce lien primitif à la mère. C’est par l’épiderme, et non par la vue, que le nourrisson noue sa première relation à la vie et au monde extérieur. «L’inconscient parle, et ça ne s’explique pas. Ce qui se rejoue, c’est comment nous avons été touchés et caressés. Le plaisir que nous avons éprouvé à être embrassés, câlinés a fourni une colonne vertébrale à notre libido. C’est ce que nous avons de plus animal et de plus régressif en nous qui surgit.» Le psychanalyste Didier Anzieu (auteur de «Moi-Peau», Ed. Dunod) en était convaincu: «La peau est la source, le lieu et le modèle du plaisir. Le rapport des sexes ne fournit qu’un supplément.»

Des nerfs qui suscitent du plaisir

«Certaines terminaisons nerveuses dans la peau sont spécialisées dans le toucher plaisir. Leur découverte est récente et nous en savons peu de chose», confie le chercheur en neurosciences Laurent Misery. Appelées fibres C-tactiles, elles se situent au niveau du dos et des avant-bras et nous permettent d’éprouver des sensations agréables. Leur stimulation et les effets qui en découlent sont décuplés quand la température des doigts et des mains qui caressent avoisine les 32° C. L’impact des caresses dépend autant de la personne qui les reçoit que de la personne qui les donne et de la façon dont elles sont prodiguées. «Ce qui suscite le plaisir, le désir ou le rejet est surtout lié à l’image de l’autre et de sa peau, en fonction de l’apparence, des goûts personnels, des circonstances de la rencontre, de la disponibilité affective…» Dans ce domaine incertain, jamais une donnée scientifique n’abolira le hasard.

Rubrique réalisée en partenariat
avec «Psychologies Magazine»
dont le numéro 376
est disponible en kiosque.
A consulter aussi sur psychologies.com


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