Femina Logo

On ne connaît pas son nom. D’elle, on sait juste qu’elle était Américaine et traversait tous les ans, avec son mari et ses deux fils, l’Atlantique. En cette nuit du 13 au 14 avril 1912, cette mère de famille est brutalement tirée du sommeil. En rêve, elle a senti le paquebot au bord duquel elle voyage subir un choc violent, puis effectuer un mouvement de va-et-vient suivi de cris. Terrifiée, elle réveille son époux. Ce dernier se rend sur le pont. Tout est calme. Il revient dans la cabine et conseille à sa femme de prendre un somnifère pour se rendormir. Le lendemain soir, le Titanic percute un iceberg et sombre, entraînant la mort de près de 1500 personnes. Parmi les rescapés: la passagère américaine qui, pressentant une catastrophe après son cauchemar de la veille, s’est couchée tout habillée et a enjoint à ses enfants de faire de même. Tous trois ont ainsi pu se précipiter à temps vers les canots de sauvetage, racontera-t-elle plus tard à la commission d’enquête. Son mari, lui, est mort dans la catastrophe.

Les rêves prémonitoires existent

L’Histoire est jalonnée de récits qui, à l’instar de celui-ci, témoignent de songes annonciateurs d’événements à venir. Simples coïncidences, rétorqueront les sceptiques. Pas sûr qu’ils aient totalement raison. Lorsqu’on lui demande si les rêves prémonitoires sont une réalité, Sophie Schwartz donne une réponse a priori déconcertante pour une scientifique: «Bien sûr qu’ils existent!» Et la psychologue s’amuse de notre silence médusé. «Je vous étonne, là?» C’est peu de le dire. Pourtant, pour cette professeure au Département de neurosciences de la Faculté de médecine de l’Université de Genève, il n’y a pas de quoi être surpris. Les songes à connotation prophétique ne seraient que l’expression de l’activité normale de notre cerveau. «Le job de ce dernier consiste à prévoir le futur dans le but d’assurer notre survie, explique-t-elle. Durant la journée, il est bombardé d’informations nouvelles à chaque instant. Lors du sommeil, il remet de l’ordre dans ce qu’il a assimilé, établit des priorités, incorpore les connaissances récentes à celles que nous possédons déjà.» En clair, il fait le ménage. «Ce travail est plus aisé lorsque l’on dort car, à ce moment-là, le cerveau n’est pas en train de traiter activement des informations extérieures.»

Les rêves d’apparence prémonitoires seraient aussi liés au fait que notre cerveau «encode bien davantage de choses que ce que l’on utilise immédiatement», poursuit Sophie Schwartz. On ne peut ainsi pas mener une conversation avec quelqu’un et, en même temps, enregistrer sa voix avec précision afin de l’ajouter à toutes celles que l’on a déjà en mémoire. Ce travail de réorganisation se fait quand on est endormi. «Le cerveau est alors hors ligne, en quelque sorte. Il peut ainsi réviser sa leçon en utilisant toutes les zones nécessaires.» Et tirer des conclusions qui s’incarneront ensuite sous forme de rêves, puisque ceux-ci sont le reflet de ce qui nous occupe l’esprit ou nous touche émotionnellement. Ce que nous considérons comme des prémonitions nocturnes seraient donc, selon la scientifique, l’expression de capacités d’intégration et de déduction qui opèrent dans notre sommeil. Rien à voir avec «une fenêtre ouverte sur un futur qui ne nous appartient pas ou un message des dieux, comme on le croyait dans l’Antiquité», précise la psychologue. «De ce point de vue, les rêves ne prédisent pas plus l’avenir que nos météorologues ne peuvent prévoir le temps qu’il va faire au-delà d’une semaine.»

Des théories et des chiffres

D’autres explications scientifiques de cet intrigant phénomène à la lisière de l’ésotérisme ont été avancées. Statistique, par exemple. Imaginons qu’une catastrophe naturelle se produise demain, faisant plusieurs centaines ou milliers de victimes. L’être humain traversant en général 3 à 4 phases de rêves par nuit, et notre planète comptant 7 milliards d’habitants, il y a de fortes chances pour qu’un certain nombre d’entre nous voie le désastre en songe avant qu’il n’ait lieu. Question de probabilité mathématique. En bouleversant notre conception de l’espace-temps, la physique quantique permet d’élaborer une autre hypothèse: si le temps n’est pas linéaire, et que tout se passe dans l’instantanéité, les rêves prémonitoires ne nous montreraient pas le futur, en fait, mais un autre présent, simultané au nôtre.

«Cette théorie rejoint ce que je ressens, commente Danièle Corthésy, spécialiste de l’interprétation des rêves, notamment dans Femina. Quand on dort, je crois que l’on accède à un niveau de conscience différent. On n’est pas qu’un corps physique, nous possédons aussi un corps subtil que nous ne voyons pas mais qui fait partie de nous. Il suffit parfois de peu de chose pour que nous nous reconnections avec cette dimension de nous-mêmes dont nous nous sommes détachés – car on nous apprend à fonctionner sans. Mais bien sûr, c’est le genre de discours qu’on ne peut pas tenir avec tout le monde…»

Songes prophétiques

Nous serions donc tous capables de faire des songes prophétiques? Danièle Corthésy en est convaincue. Caroline aussi. Cette Lausannoise de 53 ans, mère de famille, était encore adolescente lorsqu’elle a découvert chez elle cette aptitude. Ce premier rêve prémonitoire dont elle a pris conscience a été suivi par d’autres, au fil des ans. Et ce phénomène continue à se produire régulièrement. «Pour moi, cela n’a rien de mystérieux mais fait partie de l’être humain. Plus j’avance, et plus j’ai l’impression qu’on a beaucoup de choses en nous qu’on ne développe pas. Je ne vois pas pourquoi certaines personnes pourraient avoir cette capacité et d’autres non. Il suffit de l’exercer. Cela demande un travail sur soi-même. Moi, il m’a fallu du temps pour cerner mes rêves, les accepter, et que ce processus devienne naturel. Mais cela m’aide à comprendre beaucoup de choses. Et à mieux me connaître moi-même.»

Qu’elle rêve du décès prochain de proches ou de scènes plus anecdotiques – l’expatriation d’une amie ou le retour de vacances de ses parents –, Caroline considère son «don» comme une aide. «Je l’ai toujours utilisé tel un outil de clairvoyance. Mais on ne sait jamais si un rêve va être prémonitoire avant qu’il se réalise… Je suis donc prudente, j’évite d’en parler, hormis à mes proches. Et encore! Certains peuvent être fragilisés par ce genre de révélations, or je ne veux pas que mes rêves me donnent une emprise sur autrui.»

Un futur à écrire

Est-ce le songe qui nous annonce le futur, ou nous qui, à trop y croire, influons inconsciemment sur la réalité de façon à ce qu’elle colle à la prophétie? Et si la prémonition n’était, au fond, qu’une forme d’autosuggestion? Là est toute la question. «Les personnes convaincues d’avoir fait un rêve prémonitoire vont conditionner leur quotidien en conséquence, avance Danièle Corthésy. Or, ce n’est pas parce qu’un rêve annonce un événement que celui-ci se produira. Ce sont nos choix qui déterminent notre avenir et il suffit de les modifier pour générer un futur différent. Chacun est libre de créer sa propre vie.»

Leurs rêves prémonitoires ont marqué l’histoire

Bernhard von Gudden, médecin du roi Louis II de Bavière Le docteur Von Gudden était le psychiatre de Louis II de Bavière. La veille de son trépas, alors qu’ils prenaient le petit-déjeuner, il raconta à sa femme qu’il avait rêvé de sa propre mort durant la nuit. Dans ce songe, il s’était vu se battre avec un homme. Le jour même, peu après 18 heures, le médecin partit en promenade avec le roi sur les bords du lac de Starnberg, en Haute-Bavière. Leurs corps furent retrouvés dans la soirée, flottant dans l’eau. A l’autopsie, on découvrit des traces de lutte sur le cadavre de Von Gudden.

Calpurnia Pisonis, troisième épouse de Jules César Le jour de son assassinat, Jules César trouva à son réveil son épouse en larmes: durant la nuit, Calpurnia s’était vue tenant le corps sans vie de l’empereur romain. Effrayée par cette prémonition, elle le supplia de ne pas se rendre à sa réunion au Sénat. Jules César ne fit pas cas de cette mise en garde, pas plus qu’il n’avait écouté celle de Spurinna, un devin qui lui avait annoncé qu’il mourrait aux Ides de mars, soit le 15 du mois. Il fut tué ce jour-là, au tout début de la session, par 23 sénateurs qui, chacun, lui assenèrent un coup de poignard.

Abraham Lincoln, 16e président des Etats-Unis Dans sa biographie, Lincoln raconte qu’il a rêvé de sa mort: «J’ai vu un catafalque, sur lequel reposait un cadavre enveloppé dans des vêtements funéraires. Je me disais en moi-même: «Ce doit être quelqu’un d’important pour qu’il y ait autant de soldats autour.» Alors en passant, je me suis arrêté devant un soldat et je lui ai demandé qui était mort. Le soldat, les yeux rougis par les larmes, me répondit: C’est le président qui a été assassiné.» Le 15 avril 1865, Lincoln fut abattu d’une balle dans la nuque. Son corps fut exposé à la Maison-Blanche, tel qu’il l’avait vu en songe.

Rudyard Kipling, écrivain britannique Dans ses «Souvenirs», l’auteur du «Livre de la Jungle» raconte qu’il a fait une nuit un rêve étrange. Vêtu d’un costume inhabituel, il se trouvait debout dans une grande salle pavée de dalles fissurées, au milieu de personnes habillées comme lui. Sur sa gauche se tenait une cérémonie que Kipling ne pouvait pas voir en raison du très gros ventre de son voisin. Puis, la foule se dispersait et quelqu’un lui prenait le bras en lui disant: «Je voudrais vous dire un mot.» Ce songe incompréhensible lui resta en mémoire. Deux mois plus tard, l’écrivain fut invité à une cérémonie dans l’abbaye de Westminster. Tout se déroula exactement comme il l’avait rêvé… jusqu’à la panse proéminente de l’homme à côté de lui. A la fin, on lui saisit même le bras avec un «Je voudrais vous dire un mot, s’il vous plaît.» Et Kipling de conclure l’anecdote en s’interrogeant: «Mais comment et pourquoi m’avait-il été donné de voir une longueur encore enroulée de la pellicule de ma vie?»

Podcasts

Dans vos écouteurs

E94: Les bienfaits du jeu vidéo sur notre épanouissement

Dans vos écouteurs

Tout va bien E89: Comment mieux comprendre nos rêves

Notre Mission

Un concentré de coups de cœur, d'actualités féminines et d'idées inspirantes pour accompagner et informer les Romandes au quotidien.

Icon Newsletter

Newsletter

Vous êtes à un clic de recevoir nos sélections d'articles Femina

Merci de votre inscription

Ups, l'inscription n'a pas fonctionné