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Toutes des menteuses: et alors?

Toutes des menteuses: et alors?
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Des légions de journalistes qui «fact-checkent» en direct les propos des hommes politiques. Des réseaux sociaux qui tendent à rendre notre sphère privée transparente. Des applications pour s’assurer que Chouchou ou Loulou n’aurait pas juste un peu oublié de vous dire qu’elle/il s’est inscrit(e) sur Tinder dans votre dos… Jamais notre société n’a semblé aussi assoiffée de vérité. 2016 serait-elle le début de la fin de l’art de mentir? Du plaisir de fabuler? Pas dit. Et si, au contraire, nous n’avions jamais été aussi mythos?

Car vous êtes et nous sommes, encore, tous des menteurs. Tous, sans exception. Et ce sport est particulièrement pratiqué durant les vacances, le contexte estival, détendu des doigts de pied, s’y prêtant bien. Comme le confirme d’ailleurs la doctoresse en psychologie sociale Claudine Biland. «Loin de chez nous, au milieu de gens que nous ne serons pas appelés à revoir, nous pouvons être tentés de nous rendre plus intéressants que nous ne le sommes vraiment, de nous faire briller socialement et, pour le coup, de prétendre des tas de choses plus ou moins extraordinaires juste pour voir une lueur d’admiration et d’envie dans les yeux de notre «victime».» Et le pédopsychiatre Michel Bader de spécifier: «La dimension fugitive de ces situations durant lesquelles on se laisse emporter par un fonctionnement enfantin diminue à la fois le poids moral et la crainte que soient découvertes ces transformations de la réalité destinées à remédier au manque de confiance en soi

Aller en enfer, ou pas

Concrètement, si l’on en croit différentes études scientifiques menées de par le monde, nous émettons chaque jour deux craques au minimum. Et les mitonnons avec d’autant plus d’aisance que 82% de nos mystifications ne sont pas détectées: «D’une part, nous sommes confiants dans la nature humaine, explique Claudine Biland, qui planche sur le sujet depuis des années. D’autre part, poursuit-elle, un petit pipeautage est presque impossible à confondre. Et même s’il est repéré, notre interlocuteur préférera souvent se taire plutôt que nous prendre en défaut et, de fait, nous gêner!» Aïe. Pas joli-joli ni très moral, tout ça… En réalité, peut-être pas si négatif que ça.

Certes, des philosophes tels que Platon, Saint Augustin ou Kant jugeraient indéfendables les rideaux de fumée derrière lesquels nous évoluons au quotidien. Mais la psychologie sociale se montre plus conciliante. Claudine Biland rappelle ainsi qu’à l’exception du gravissime faux témoignage, le mensonge n’est considéré comme péché mortel par aucune des trois grandes religions. Elle va plus loin: pour elle, bidouiller la vérité est «une condition sine qua non de la vie en société, qui deviendrait infernale sans ces petits arrangements avec la réalité»! En d’autres termes, se laisser emporter sur les ailes d’un léger délire n’est peut-être pas si grave que cela.


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Reste à savoir ce que recouvre vraiment le concept de mensonge. A priori, la définition est assez simple. Le pédopsychiatre lausannois Michel Bader et le spécialiste en philosophie antique et médiévale de l’Université de Lausanne Maël Goarzin sont sur la même longueur d’onde: il s’agit de «la volonté délibérée de tromper quelqu’un».

Pourtant, à y regarder de plus près, les choses sont infiniment plus nuancées. Les psychologues, sociologues, théologiens, penseurs et philosophes s’accordent à distinguer deux grands types de mensonges. Le premier, appelé «égoïste», représente joyeusement 75% d’entre eux. Eh oui, l’omission est également considérée comme une duperie! Pratiqué dès l’âge de 4 ou 5 ans, il a pour vocation de donner une bonne image de soi, d’impressionner, de se faire aimer, d’obtenir un avantage, d’éviter une punition quand on est enfant, un conflit ou une rupture quand on est adulte. Il peut nous embarquer dans des spirales dont il risque d’être très difficile de sortir. A l’image des quatre héroïnes de la série américaine actuellement en cours de diffusion «Pretty Little Liars» qui, suite à un bidonnage initial, enchaînent les «mythos» les uns après les autres dans l’espoir de sortir d’un engrenage infernal. Ou, plus près de chez nous, l’ancien ministre français Jérôme Cahuzac, englué jusqu’à l’absurde en raison de ses avoirs cachés, qui jurait sur tous les tons, tel un enfant pris la main dans le pot de confiture: «C’est pas de ma faute, je ne savais pas, c’est pas moi!»

«Cette robe te va si bien»

Le second modèle de fabulation, dite «altruiste», ne représente, lui, qu’un modeste 25% de nos errances quotidiennes. Il apparaît également à la petite enfance et vise à faire plaisir, à éviter de provoquer du chagrin, de la peine ou de la gêne, voire même à aider. Sans vouloir nimber la gent féminine d’une auréole de bienveillance qu’elle n’a pas obligatoirement, il est intéressant de constater que cette forme de tromperie-là est la préférée des femmes, qui en usent et en abusent.

Selon des études mentionnées par Claudine Biland dans son essai La psychologie du menteur, près de 50% des salades que Madame profère le seraient ainsi dans l’intention unique de faire plaisir à ses copines, de rassurer ses minots en panique ou de flatter l’ego de son conjoint peu sûr de lui. «Cette manière de faire est une façon en effet féminine de mettre un peu d’huile dans les rouages. On aura par exemple tendance à lancer un compliment à une collègue qui est d’une humeur exécrable, histoire de lui adoucir le tempérament et, du même coup, de détendre l’atmosphère du bureau. Et la plupart du temps, ça marche!»

Evidemment, dans la réalité, cette classification théorique des motivations qui poussent à tromper l’autre n’est pas toujours aussi limpide. Après tout, un homme infidèle cache-t-il ses petits coups de canif au contrat pour ménager sa femme ou pour sa propre tranquillité? Un médecin ment-il à un patient au sujet de la gravité de son état pour épargner la sensibilité du malade ou pour s’éviter des discussions potentiellement lourdes et émotionnellement pénibles? Selon les experts interrogés, il n’existe pas de réponse prédéfinie. Ils estiment en effet que tous les bidonnages ne sont pas à mettre dans le même panier, puisque certains sont anodins quand d’autres se révèlent «compromettants», selon l’expression de Claudine Biland. Autrement dit, répondre: «Super bien!» à la boulangère qui vous demande comment vous allez, alors que vous vous sentez au fond du bac, ne peut être comparé au fait de lancer des accusations fallacieuses, comme ce fut le cas lors de la triste affaire d’Outreau. Et se faire passer pour un expert de l’elfique tolkien pour épater un flirt de vacances n’a pas le même impact que se fabriquer un CV rempli de contre-vérités et de prétendues capacités: «Se vanter un peu pour obtenir un petit job fait presque partie de la norme, note Claudine Biland. En revanche, mentir sur ses compétences ou ses ambitions afin de décrocher un emploi à fortes responsabilités devient problématique.»

Un peu d’hypocrisie

De même, flatter un ou une supérieur(e) hiérarchique pour se le/la mettre dans la poche est de bonne guerre. Tandis que jouer sur les mots comme le font «les personnalités perverses narcissiques qui établissent des stratégies subtiles visant à semer le doute sur des faits plus ou moins anodins, à culpabiliser, à dévaloriser et à déstabiliser leurs victimes» peut s’avérer dramatique, souligne encore le Dr Bader. En gros, tout est donc affaire de conséquences.
Et d’échelle morale, aussi. Une échelle relativement élastique selon les cultures, puisque ce qui est intolérable pour les uns amuse les autres, et réciproquement. Chez les Anglo-Saxons, pourtant réputés passablement hypocrites, le moindre écart avec la vérité est condamnable et sanctionné. Ce que se rappelle fort bien Bill Clinton, qui a risqué la destitution suite à une «banale» affaire d’adultère qu’il a maladroitement tenté de cacher à coup de dissimulation et d’explications plus oiseuses les unes que les autres.

En Espagne, en Italie, en France ou, dans une moindre mesure, en Suisse, les exigences sont un peu plus lâches. Si bien que les bonimenteurs avérés et reconnus qu’étaient (ou restent) François Mitterrand, Silvio Berlusconi et Jacques Chirac, pour ne citer qu’eux, sont non seulement tolérés mais même adorés. Il est décidément bien loin le temps de Diogène et des cyniques qui érigeaient la franchise et le parler vrai en vertu première. Au grand regret de Maël Goarzin, qui verrait d’un bon œil que les sociétés «opinionistes» d’aujourd’hui s’inspirent un peu plus des valeurs de l’Antiquité. Claudine Biland, quant à elle, se montre bien plus nuancée sur la question: «La vérité des faits peut être difficile à dire comme à entendre, et, dans ce cas, elle est plus nuisible qu’un bobard!» Bref, ne reste donc plus qu’à sortir nos calculettes à sensibilité pour être sûr que nos vies rêvées et nos divers mensonges ne transforment pas en cauchemar l’existence de nos proches.

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