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Tous les week-ends, je rejoins ma meute. Je roule durant les trois heures qui séparent Bangkok de notre refuge. A l’arrivée, les chiens me font la fête, et à chaque fois je suis émue. Un chien n’oublie pas, jamais, le geste que vous avez fait pour le sauver. Ils sont 135, en vie… Ce sont mes petits. Afin de veiller sur eux, de gérer le refuge, il y a Sombut, ma deuxième maman. Dès que je suis là, je me sens bien. J’ai simplement trouvé ma place.

J’ai découvert la Thaïlande très jeune. Pourtant, rien dans ma famille ou mon éducation n’augurait le fort lien que j’allais entretenir avec ce pays. Mes parents viennent de Fribourg, je suis née à Genève, où j’ai grandi. Vers 15-16 ans, je m’en souviens encore, je suis tombée sur le livre d’un journaliste évoquant le commandant Bigeard et le corps expéditionnaire français en Indochine. Ça m’a passionnée. Puis j’ai enchaîné avec l’histoire de la guerre du Vietnam, qui a provoqué comme un déclic. Il fallait que j’y aille! Après ma matu et avant l’uni, en 1990, j’ai donc pris une année sabbatique. J’ai d’abord exercé en tant qu’aide-soignante à l’Hôpital Cantonal de Genève, puis direction l’Asie. Mon plan était d’atterrir à Bangkok, d’y rester un moment et de continuer vers le Laos, le Cambodge, le Vietnam. Finalement, je n’ai plus quitté Bangkok.

Tout s’est joué sur une rencontre. Un coup de cœur mutuel entre cette enseignante du primaire et moi. Je passais quotidiennement devant son école et, un jour, il y a exactement vingt-cinq ans, elle m’a interpellée. Je faisais la connaissance de Sombut, qui allait changer ma vie. Nous nous sommes prises d’affection et j’ai emménagé chez elle, où je suis restée les six derniers mois de mon séjour. Sombut m’a éduquée à la Thaïlande. J’ai appris la culture, la langue, le bouddhisme. En bonne Fribourgeoise, j’ai eu une éducation catholique, que je ne renie pas, et comme je n’ai pas tout accepté du bouddhisme non plus, disons que je suis maintenant moitié-moitié. Apprendre la langue était aussi pour moi essentiel. Je l’ai toujours trouvée très belle, et puis c’est le meilleur moyen d’approcher de près la culture du pays. Comprendre que les gens agissent, pensent différemment de nous, cela donne une certaine humilité.

La découverte d’une triste réalité

L’alchimie avec la Thaïlande avait opéré, et même de retour à Genève, durant toutes mes études, je n’ai jamais perdu le contact. J’y retournais pendant mes vacances, toujours en logeant chez Sombut. Près de sa maison, il y avait un temple autour duquel traînaient de nombreux chiens errants. Petit à petit, je voyais ce jardin se transformer en parking. Avec le niveau de vie qui augmentait, les voitures pullulaient et des mafias s’étaient mises en place pour organiser et surveiller les parkings. Bien sûr, leur premier objectif a été de se débarrasser des chiens avant qu’ils ne détériorent les véhicules. Dans les quartiers chics, ils ont fait des rafles et les ont casés dans des centres où, le plus souvent, ils sont empoisonnés.

C’est peut-être à cause de mon regard d’Européenne sur une situation somme toute banale pour les Thaïs, ou de mon grand-père fermier, ou de mes parents qui avaient toujours refusé un animal domestique… Quoi qu’il en soit, j’ai eu de la compassion pour cette soixantaine de chiens voisins. Avec Sombut, on a commencé à en récupérer certains, à les soigner, les faire vacciner, les stériliser, les nourrir. Puis on les relâchait. On se rendait bien compte que ce n’était pas la solution, que c’était leur donner un maigre sursis. Après avoir tenté d’en placer dans un vague refuge à l’ouest de Bangkok, nous avons décidé de créer le nôtre, avec nos critères. Sombut proposant d’utiliser un terrain dont elle avait hérité au nord de Bangkok, dans la province d’Uthai Thani.

Une nouvelle vie pour eux et moi

La construction du refuge a débuté en août 2007. J’étais en Suisse, la suivais de loin. Il a fallu établir un budget et une capacité maximale d’accueil de 150 places. Puis réaliser les travaux, assainir le terrain, le rehausser à cause des rizières. En mars 2008, nous avons rapatrié les 29 chiens qui restaient sur les 60 confiés à l’ouest, puis récupéré ceux du temple. Et, croyez au hasard ou non, j’ai reçu au même moment une proposition de travail dans une chaîne hôtelière à Bangkok. Je me suis installée pour de bon en juin, reprenant la petite maison de Sombut à Bangkok – où je travaille et vit la semaine – puisqu’elle s’occupe désormais du refuge à temps plein avec sa sœur et un couple birman (banoboun.org). Mon bonheur est de les retrouver le week-end et de les soulager en m’occu pant des box et des animaux. Je connais chacun des noms donnés par Sombut à nos actuels 135 locataires. Des noms thaïs relatifs à leur caractère, sauf pour une petite bande de frères et sœurs baptisée «The John’s Band» et sauvée de la proximité d’un chantier où sont employés de nombreux Birmans. Car les Birmans mangent les chiens. Je tiens à souligner ici le travail acharné de la Fondation Soi Dog, qui lutte contre le trafic de chiens, enlevés pour l’industrie de viande canine au Vietnam (soidog.org) . En Thaïlande, seule une minorité en consomme, au nord et au nord-est.

La Suisse ne me manque pas, mais j’en fais subsister l’esprit chez moi. Tout y est propre, organisé et… recyclé! Par exemple, les crottes de chien servent d’engrais. Je m’engage à mon échelle, avec mes moyens. Le refuge vit sur mon salaire et, même si nous avons reçu des dons de fondations réservés à des infrastructures précises, les moyens manquent toujours quand on veut aider plus. A Bangkok, j’ai récemment dû me faire violence pour ne pas secourir un chien mal en point – je ne peux pas imposer un animal de plus à l’équipe du refuge sans leur accord. Alors j’ai fermé les yeux et, en arrivant au travail, je me suis enfermée aux toilettes pour pleurer. Je pense aux chiens que j’ai récupérés, comme celui à trois pattes marchant sur la route qui me mène au nord chaque week-end. Je roulais quand je l’ai aperçu. J’ai fait demi-tour. Son maître l’avait sûrement abandonné... Je l’ai baptisé du nom de cette route, «Asia», et lui seul a le droit de rester dans la maison. Il est très malin, sensible. Il est en vie et, comme tous les autres, comme la Thaïlande, me donne un grand sentiment de liberté.

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