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Je vis au jour le jour avec ma maladie orpheline

Je vis au jour le jour avec ma maladie orpheline

Tant que j’y arrive seule, je ne veux pas d’aide supplémentaire.

© Francesca Palazzi

Quand j’ai commencé à observer les premiers signes, à ressentir les premières douleurs, je devais avoir 17 ans. Ce n’est que bien plus tard, à mon arrivée en Suisse, que j’ai appris que je souffrais de la myopathie de Charcot-Marie-Tooth, une maladie neuromusculaire. Mais à l’époque je vivais au Congo, mon pays d’origine, dans ma ville natale, Matadi, à l’embouchure du fleuve, là où arrivent de gros bateaux. Enfant, je n’avais eu aucun symptôme. C’est à l’adolescence que j’ai commencé à être prise de crampes violentes aux pieds, à voir mes membres se déformer, à ne plus pouvoir secouer les orteils. Surtout la nuit. Le matin, ça allait un peu mieux, mais je marchais de plus en plus mal. Je voyais ma mère connaître les mêmes douleurs, quoique moins fortes, et je me suis dit que j’avais hérité cela d’elle. En effet, c’est une maladie héréditaire. Une de mes quatre sœurs en a été atteinte aussi, et l’a transmise à l’un de ses fils et à l’une de ses filles. Un autre de mes neveux a aussi été touché, sans que sa mère le soit. Ça ne se déclare pas à la naissance, et, de toute façon, dans nos pays, on ne fait pas de contrôle postnatal. J’ai vu des médecins, mais ils ne pouvaient rien faire, il n’y avait pas d’examens concluants, ni d’équipements performants. Nous étions aussi en 1973… Sans pouvoir mettre un nom dessus, je disais que, voilà, j’avais la maladie neurologique de maman.

Ne pas céder

Très perturbée par ce qui m’arrivait, j’ai pris du retard à l’école et vu mes projets disparaître. Petite, j’étais très garçon manqué et j’adorais jouer au foot. Ce n’était plus possible. Plus tard, j’ai voulu devenir infirmière, mais cette profession impliquant de rester longtemps debout, m’était interdite. A bout, j’ai tenté de me suicider. Mais j’ai entendu une voix me dire de l’intérieur: «Tant que tu as une once de vie, il faut vivre.» Je n’ai pas demandé cette maladie, ce n’est pas une punition, il ne faut pas lui céder.

Après le bac, j’ai travaillé à Kinshasa, au Ministère de l’éducation, dans un bureau qui s’occupait d’enseignement spécialisé pour les sourds. Là, je bénéficiais de séances de physiothérapie dans un hôpital général. Dans les années 90, j’ai intégré un parti politique clandestin qui combattait Mobutu, ses maltraitances envers la population miséreuse. On faisait des réunions et des tracts pour changer les choses, aider le peuple. Se sentant menacé, Mobutu a renforcé ses recherches pour débusquer notre parti. J’avais 34-35 ans, ma vie était en danger, il me fallait fuir le pays. Je suis passée par le Congo-Brazzaville, et de là en Italie. C’était dur physiquement. Je voyageais cachée dans une fourgonnette, j’avais mal. Je ne savais pas où j’allais m’arrêter. J’aurais pu rester en Italie, mais mes contacts trouvaient plus prudent que j’aille jusqu’en Suisse, où d’autres membres du parti clandestin s’étaient réfugiés. Arrivée dans votre pays, je n’ai pas pu rester chez mes connaissances. J’ai donc demandé l’asile politique. C’était compliqué, mais j’ai trouvé un travail, ce qui m’a permis d’avoir une assurance-maladie et de consulter.

Je n’ai pas su tout de suite le nom de mon mal. Le médecin de famille qui me suivait n’a pas fait de tests, m’écoutait peu. Et je dois dire que je ne voulais rien savoir non plus. C’est en 1995, lorsque je me suis mariée et que j’ai voulu suivre des traitements pour avoir des enfants, que des examens poussés au CHUV ont révélé ce que j’avais: une maladie orpheline. Avec 50% de risques de la transmettre à mon bébé en cas de grossesse. A quoi bon des traitements hormonaux, si c’est pour offrir une triste vie? Je ne deviendrais pas mère. J’avais rencontré mon mari, Suisse, dans un lieu de prière. Il a tout accepté et m’a été d’un grand soutien. Encore aujourd’hui. Et je lui en suis très reconnaissante.

Le prix de la santé

Le plus difficile a été de faire reconnaître la maladie. Evidemment, je ne l’avais pas signalée quand j’avais pris mon assurance-maladie, puisqu’elle n’avait pas encore été diagnostiquée. Aussi, lorsque j’ai demandé le remboursement de mes nouveaux soins, j’ai été pénalisée: durant deux ans, rien ne m’a été remboursé. Et ce n’est pas plus facile aujourd’hui, tout doit être validé par un médecin. Ça fait beaucoup de paperasse. Financièrement, c’est pesant. On dit que la santé n’a pas de prix, mais c’est bien cher. Et le comble est que je ne serai jamais guérie.

J’ai demandé trois fois une aide à l’assurance- invalidité. Je l’ai obtenue – 500 francs à peine – grâce à un professeur en neurologie qui me suit depuis 2011 et qui a bataillé pour que je la reçoive. Il m’aide beaucoup, me donnant espoir, notamment avec des médicaments à l’essai. Sur son conseil, je fais de l’aquagym chaque lundi. Toujours disponible pour moi, il est aussi intervenu sur mon lieu de travail. J’étais serveuse dans un restaurant. L’âge aidant, ou plutôt n’aidant pas, j’avais demandé à travailler assise car je n’y arrivais plus. Mon médecin a dû expliquer que ce n’était pas un caprice de ma part. Grâce à lui, je suis désormais employée à la caisse.

Il y a aussi le soutien inestimable des associations telles que ProRaris Alliance Maladies Rares Suisse. Je suis pour ma part affiliée à l’association de la Suisse romande et italienne contre les myopathies (ASRIM), focalisée sur les maladies neuromusculaires. En cas de besoin, une assistante sociale se déplace à domicile. Mais tant que je le peux, je préfère ne dépendre que de moi-même.

Je retourne régulièrement au Congo

La première fois, c’était après la destitution de Mobutu, en 1997. Il fallait bien fêter ça! Pour mon dernier voyage, il y a trois ans, le neurologue m’avait conseillé de me faire assister. Mais non! Tant que j’y arrive seule, je ne veux pas de transport particulier, ni d’aide supplémentaire. J’ai horreur de ça. Ma mère a été capable de marcher jusqu’à ses 90 ans. Je me souhaite la même chose.

Actuellement, j’ai des attelles aux jambes, et la maladie commence à attaquer mes mains. Mon médecin m’avait prévenu. Je vis au jour le jour. Contre la douleur j’ai du paracétamol… et des pensées positives le reste du temps. Si un traitement est découvert, ils savent où me localiser. De toute façon, j’ai 59 ans, je n’y crois plus. Ce sera pour les plus jeunes, comme cette trentenaire qui suit les cours d’aquagym avec moi et qui a un moral d’acier. C’est une question de survie.

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