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Le suicide de ma meilleure amie m’a poussée vers la vie

Femina 43 Temoin Suicide Anorexie
© Anne-Laure Lechat

Jusqu’à l’âge de 8 ans, j’ai connu une enfance heureuse dans la campagne gruérienne. C’est lorsque ma famille a déménagé sur Lausanne que s’est achevé l’état de grâce. D’abord parce que mon frère et moi avions pris goût à la vie au grand air. Ensuite parce que le couple de mes parents a commencé à prendre l’eau... avant d’imploser. Nouveau choc. Si rude qu’en quelques mois, dans la famille, on a tous pris une dizaine de kilos! A la rentrée scolaire, j’étais méconnaissable. J’avais 12 ans, l’âge où la coquetterie vient aux filles. Et, là, j’ai vécu un cauchemar.

Une prise de poids cruelle

C’était au cours d’un camp scolaire. Un jour, mes camarades se sont ligués contre moi, ils m’ont insultée, me jetant de la nourriture dessus. Et j’ai fini le séjour isolée dans mon coin, avec les insultes «sale grosse» ou «t’es trop moche» qui pleuvaient sur moi... A la maison, je restais muette. Comme mon frère et moi étions seuls à midi, nous nous réfugions dans la nourriture, dévalisant la boulangerie du quartier avec l’argent que notre mère nous laissait. L’alimentation était devenue une drogue qui me permettait de ne plus ressentir les émotions douloureuses.

Ni les enseignants ni mes proches ne réalisaient l’isolement dans lequel je vivais. C’est l’infirmière scolaire qui a tiré la sonnette d’alarme en me donnant un arrêt médical de deux mois. J’étais en sursis.

L’été suivant, ma mère nous annonçait avoir trouvé un emploi à Lucerne. Pour moi, il était hors de question de redéménager! J’avais 13 ans, je m’étais battue pour intégrer la classe prégymnasiale; aller dans une école alémanique risquait de perturber ma scolarité... Alors mon père a accepté que je reste avec lui à Lausanne. Mon frère, lui, partirait avec ma mère.

J’ai profité du reste des vacances pour changer d’état d’esprit et méditer sur le fiasco de l’année écoulée. A la rentrée, j’ai changé de classe et entrepris un régime. Grâce à un groupe de soutien, j’ai perdu une vingtaine de kilos en un an. Mais restait tapie en moi la peur de redevenir grosse, d’être à nouveau rejetée par les autres. Si mon enveloppe extérieure me posait moins de problèmes, le mal était fait: j’avais 14 ans et j’étais constamment au régime. Au fil du temps, le contrôle alimentaire devenait même de plus en plus envahissant. Je m’interdisais tous les aliments que j’aimais et faisais du sport tous les jours.

J’ai dévalisé toutes les provisions

Mon père et moi avons déménagé plusieurs fois. Si je pouvais compter sur son soutien financier, côté affectif, c’était plutôt le désert. Comme je me sentais seule, il a accepté d’héberger une étudiante tchèque, pour quelques mois. Je commençais le gymnase, lorsque la jeune femme s’est installée chez nous... remplissant aussitôt les placards de la cuisine avec des biscuits, du chocolat et des douceurs. Et ce qui devait arriver est arrivé: un soir, tandis que je discutais au téléphone avec ma meilleure amie, j’ai saisi un biscuit dans le garde-manger et l’ai dégusté, euphorique. Le bien-être qui m’envahit alors était tel que j’ai enchaîné sur un autre, puis un autre... et perdu le contrôle: j’ai fini par dévaliser toutes les provisions de mon invitée! J’avais honte, j’avais la nausée et, pour me soulager, je me suis fait vomir. Consciente que ce qui venait d’arriver n’était pas normal, j’ai entamé une thérapie brève et des sessions d’hypnose peu après.


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C’est vers mes 17 ans que mes troubles alimentaires se sont stabilisés. J’ai alors renoué avec la gourmandise et repris une dizaine de kilos. Avec toutefois un revers de la médaille: j’allais mieux, mais j’avais du mal à accepter ma nouvelle silhouette. J’étais toujours habitée par un sentiment de vide et les anciennes blessures étaient encore douloureuses. Obsédée par mon apparence, je passais des heures à me préparer avant d’oser sortir de chez moi... C’est là que j’ai décidé de prendre du temps pour moi. J’ai travaillé un an afin de pouvoir voyager et me suis retrouvée, à 19 ans, à Sydney. Là, dans un parc naturel où j’ai passé quelques mois, j’ai appris à vivre sans artifices. A Buenos Aires, ensuite, j’ai donné des cours de langue. Et peu à peu mon orientation professionnelle s’est clarifiée, une évidence s’est imposée: je voulais devenir psychothérapeute! Et j’ai entamé des études de psychologie. En Suisse d’abord, puis en Australie, où j’ai terminé mon bachelor.

Mais de retour chez mon père, ça a été le clash. Nous ne pouvions plus cohabiter! Epuisée, je cogitais durant la nuit. Tous mes amis, à l’époque, s’étaient éloignés de moi. Sauf ma confidente, Caroline, qui traversait elle aussi une période difficile. Elle et moi, nous nous comprenions. Nous nous voyions régulièrement. Jusqu’à ce jour d’avril 2015 où, âgée de 26 ans, Caroline s’est donné la mort…

Cette guérison serait la mienne!

J’étais dévastée. Cette disparition choisie me confrontait à mes propres pulsions suicidaires. Les troubles alimentaires revenaient en force. J’ai tenu le coup quelques mois, puis me suis effondrée, un an jour pour jour après la mort de mon amie. Là, mes nerfs ont lâché. J’avais pris beaucoup de poids. L’option que m’a alors proposée mon médecin était radicale: internement dans un hôpital psychiatrique!

C’est en discutant avec une autre thérapeute que j’ai découvert l’existence de la Maison AnnaBelle, lieu destiné aux jeunes femmes souffrant de troubles alimentaires. Lorsque, quelques jours plus tard, j’intégrai cette structure, mon petit ami venait de me quitter. J’étais bouleversée. Mais j’ai décidé de profiter de cette rupture pour grandir: cette guérison serait la mienne!

Après trois mois passés à la maison AnnaBelle, je suis de retour chez moi. Au cours de cette parenthèse, j’ai appris à m’aimer et à me faire confiance. Le lâcher-prise est devenu mon mantra! Enfin, j’ai réalisé que Caroline m’avait donné une sacrée leçon en disparaissant: nos ressources ne sont pas infinies. C’est en acceptant cela que l’on apprend à demander de l’aide lorsque les forces nous manquent. Et je me réjouis de transmettre à mon tour à mes patients ce que la vie m’a enseigné…

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