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Sublimes vilaines

Films et séries: La revanche des méchantes

La revanche des méchantes

Dans le registre des fabuleuses psychotiques, Glenn Close fait office de figure de proue avec ses rôles dans Les liaisons dangereuses, de Stephen Frears, en 1988, et Les 101 Dalmatiens, de Stephen Herek, en 1996. «Elle a été une actrice emblématique d’une représentation extrêmement négative de la féminité», confirme Charles-Antoine Courcoux.

© JP Kalonji

La nouvelle série britannique The One débarquait sur Netflix en mars 2021. PDG et fondatrice d’une agence de rencontre, Rebecca Webb fait la promesse à qui le souhaite de trouver l’âme sœur grâce à l’ADN. Dès le premier épisode, on décèle un truc qui cloche dans les yeux de Rebecca. Tirée à quatre épingles dans son costume clair, chevelure foncée savamment rassemblée en un chignon inspirant rigueur et contrôle, son allure glamour ne dissimule pas sa face sombre. Mieux, cette silhouette parfaitement stylisée met en lumière les travers d’une femme dangereuse, pétrie d’ambition. Fatale, littéralement. Incarnée par l’actrice Hannah Ware, l’antagoniste renoue voluptueusement avec la tradition des méchantes à l’écran. En anglais, on parle de villains, une catégorie souvent réservée aux personnages masculins: The Joker, Hannibal Lecter, Dark Vador, on en jette encore?

Renversement des genres

Si Rebecca Webb campe une sublime vilaine et cristallise à elle seule toute la tension dans The One, les personnages masculins font office de faire-valoir à ses côtés. «En visionnant les deux premiers épisodes de la série, j’ai été frappé de constater à quel point ce personnage s’inscrit dans la lignée des rôles dépréciatifs pour les femmes professionnelles, remarque l’historien du cinéma Charles-Antoine Courcoux. Ce n’est pas un cas isolé, je pense notamment à l’adaptation de la série Westworld, dont les premières saisons montrent une corporation dirigée par des femmes ambitieuses et froides.»

La diabolisation des femmes ambitieuses

Souvent animées par des motifs obscurs dont elles seules ont le secret, ces héroïnes déploient leurs manigances avec maestria. Aussitôt surgit à l’esprit l’interprétation grandiose de Sharon Stone dans la série Ratched, de Ryan Murphy, en 2020, toujours sur Netflix. En attendant la prochaine sortie au cinéma, en mai, de Cruella, qui prendra les traits d’Emma Stone, Charles-Antoine Courcoux resitue l’émergence de ces figures à la croisée de l’arrivée des femmes sur le marché du travail depuis les années 60 et du retour de bâton patriarcal des années Reagan, un phénomène porté selon lui par deux figures emblématiques: Sigourney Weaver, dans Working Girl (1988), et Glenn Close, dans Liaison Fatale (1987).

«Face à Melanie Griffith, dans le premier, dont le personnage de femme professionnelle compose avec le patriarcat bienveillant incarné par Harrison Ford, le personnage de Weaver joue de façon autonome et calculatrice. Quant à Glenn Close, elle incarne la femme qui travaille et vole les maris des femmes au foyer», relate l’expert à propos des figures négatives féminines sur les écrans, généralement symbolisées par la diabolisation de la femme ambitieuse, professionnelle et soi-disant carnassière.

Pourquoi cette fascination?

On a tendance à attribuer le goût de l’aventure sans limite aux antagonistes plutôt qu’aux premières de classe. A ce jeu-là, les bad girls l’emporteront toujours. «Parce qu’il est souvent flamboyant et transgressif, le rôle d’antagoniste est assez valorisant, c’est une réalité. Mais je suis surtout intéressé par le type de féminité qu’on corrèle à la négativité. Il est troublant de constater à quel point les féminités politiques et radicales sont les plus dévalorisées», constate l’expert.

«La méchante n’est jamais la mère au foyer, c’est toujours celle qui veut travailler ou dont le rôle ferait bouger les lignes de ce qui est ou n’est pas féminin. C’est problématique! Ces productions condamnent généralement l’ambition des femmes.»

Heureusement, certaines exceptions viennent confirmer la règle, dont une notoire aux yeux de Charles-Antoine Courcoux, le premier Maléfique, avec Angelina Jolie, en 2014: «En dévoilant l’origine de son ressentiment, le fait qu’elle a perdu sa confiance dans les humains suite à une trahison masculine, le film offre une réévaluation du personnage. On reporte la responsabilité de sa position sur la malveillance patriarcale. C’est une variation plutôt progressiste.»

Les perverses flamboyantes

Dans le registre des fabuleuses psychotiques, Glenn Close fait office de figure de proue avec ses rôles dans Les liaisons dangereuses, de Stephen Frears, en 1988, et Les 101 Dalmatiens, de Stephen Herek, en 1996. «Elle a été une actrice emblématique d’une représentation extrêmement négative de la féminité», confirme Charles-Antoine Courcoux. «Au début des années 2000, elle a aussi interprété une avocate dans la série Damages, c’est un peu la femme démoniaque!» L’expert y voit une diabolisation de la féminité qu’il qualifie de post-féministe.

La confrontation générationnelle

«Contrairement aux années 80 où on oppose la bonne et la mauvaise femme, qui ont presque le même âge, on les oppose ici sur un plan générationnel, observe-t-il. Dans Damages, mais aussi dans des films comme Le diable s’habille en Prada (2006), où le personnage de Meryl Streep s’oppose à la figure plus jeune, plus moderne, incarnée par Anne Hathaway. On assiste à ce jeu de miroirs générationnel avec des femmes libérées, entre les féministes de la deuxième vague contre les post-féministes, qui n’ont prétendument plus besoin du féminisme parce qu’elles seraient déjà libérées.» La théorie se confirme dans deux adaptations de Blanche-Neige, la première avec Julia Roberts et la seconde avec Charlize Theron, toutes deux sorties en 2012.

«Comme Charlize Theron dans le rôle de la mauvaise marâtre confrontée à la gentille Blanche-Neige incarnée par Kristen Stewart, de nombreuses actrices se sont mises à jouer des personnages négatifs féminins qui s’opposent à de nouveaux personnages jeunes, positifs et individualistes.»

Charles-Antoine Courcoux

Historien du cinéma

Charles-Antoine Courcoux conclut sur une note philosophique: «A l’instar des méchants au masculin, les méchantes représentent notre avenir. Les antagonistes sont souvent l’annonce d’un certain nombre de comportements, de pratiques ou de possibilités qui nous effraient et nous fascinent en même temps, mais qui disent ce vers quoi on aurait envie d’aller. Terminator est l’exemple le plus flagrant à mes yeux. En 1984, c’est le monstre machine qu’il faut anéantir. En 1991, c’est le bon papa, l’homme augmenté et sacrificiel qui protège l’humanité. Plus récemment, le Joker représentait un terroriste en 2008 pour devenir un révolutionnaire en 2019.» Vivement la réouverture des salles de cinéma!

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